Qu’est ce que l’affaire des bébés sans bras ?

L’affaire commence en 2010 lorsqu’un praticien de l’Ain contacte le Reméra, registre des malformations qui ne couvre pas encore ce département, pour lui signaler 2 cas dans sa patientèle de malformation de membre supérieur (absence de main dans ce cas)

Alerté par le Réméra en 2014 (voir document), Santé Publique France ne réagit pas et ne lance pas d’enquête sur le terrain. Afin de pouvoir mener une investigation sur ce département, le Réméra se détache de la savoie et se concentre sur l’Ain (Voir le Reportage). Les recherches mèneront à la découverte de 8 cas dans un rayon restreint de 18 km autour de la commune de Druillat. Alerté, SPF n’agit pas et l’histoire est rapportée dans un premier temps dans un article du monde de 2016 : Lire l’article


Il faut attendre octobre 2018 pour que le Reméra, alors financièrement en difficulté, communique plus largement dans les média, afin de dénoncer un dysfonctionnement de l’Etat dans la recherche des causes et le recensement des malformations congénitales. Cette communication mènera à la naissance de la fameuse “affaire des bébés sans bras”. 

En parallèle de l’excès de cas de l’Ain, deux autres zones problématiques à Guidel (Morbihan) et à Mouzeil (Loire Atlantique) apparaissent. Le cas de Guidel est emblématique de cette affaire (voir détails) par l’investissement exceptionnel des familles. Une longue polémique s’installe mêlant spécialistes et politiques, querelles de chercheurs et querelles personnelles. 


A la suite de ces révélations, le ministère de la santé met en place deux comités : le CES (comité d’experts scientifiques) est chargé d’étudier l’aspect scientifique de ces excès de cas et le COS (comité d’orientation et de suivi) formé de personnes publiques et réunissant les parties prenantes, permet de faire le lien entre le premier et les familles et associations. La formation de ce deuxième comité montre une volonté de reconnaître la douleur des familles au delà des aspects purements médicaux. Des résultats doivent être annoncés fin juin 2019 et ont été reportés au 12 juillet 2019.

De nombreux articles sont revenus sur la chronologie de l’affaire pour les lecteurs intéressés :

France Culture

Youtube


COMMENT LES MALFORMATIONS SONT-ELLES SURVEILLÉES ?

Les malformations congénitales majeures sont surveillées par des registres. Ceux-ci donnent une estimation (extrapolation à partir d’une région recensée), au niveau national, du nombre de cas de nouveau-nés présentant une ou plusieurs malformations et du nombre de nouveau-nés présentant l’une des 21 anomalies congénitales majeures. Ces anomalies majeures ont été sélectionnées selon des critères de gravité, de fréquence et de possibilité de prévention ou de dépistage prénatal

En Europe, la surveillance des malformations est centralisée par l’association Eurocat (http://www.eurocat-network.eu/) fondée en 1979 et qui regroupe aujourd’hui 43 registres présents dans 23 pays (statistiques Eurocat). Certains pays proposent des registres nationaux (Norvège, Ukraine) mais pour la plupart, les registres sont régionaux et ne couvrent pas toute la population (France : 19% (15% métropole), suisse : 9%, Pays-Bas : 10%, Allemagne 7.1% …). Le résumé des données est accessible à tous sur le site de Eurocat. Ces données ne montrent d’ailleurs pas de variation significative de la prévalence  des agénésies de membre depuis plus de 20 ans. 


A l’échelle mondiale, on retrouve des registres nationaux par exemple au Mexique et en Chine. Aux Etats-Unis, sans parler réellement de registre, de grandes études ont été effectuées sur plusieurs années dans plusieurs états, prenant en compte un grand nombre de naissances, évaluées sur de nombreux critères par téléphone notamment (https://www.cdc.gov/ncbddd/birthdefects/nbdps.html). Cette démarche a permis d’étudier de nombreuses associations entre malformations au sens large et exposition à différents paramètres (cela va des pesticides, des produits dans le cadre d’une activité professionnelle, au temps de douche déclarées par les mères…) 

L’expositions aux tératogènes, c’est à dire des substances capables de provoquer une malformation foetale lorsque la mère est exposée, a été le fruit de différents articles. Sauf dans les cas bien connus (Dépakine…) les résultats sont rarement significatifs concernant les réductions de membres isolées https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26033688 / https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/7973488

Mais le documentaire d’Envoyé Spécial du 25 Avril 2019  a par exemple montré que des substances nouvelles sont régulièrement testées par les laboratoires localement et discrètement, à des échelles qui rendent difficile l’étude de leur impact (on peut imaginer que de nouveaux produits aient été testés dans les zones géographiques concernées par les clusters : c’est une hypothèse parmi d’autres et rien ne le démontre pour le moment).


Comment cela se passe-t-il en France ? 

En France les registres couvrent 19% des naissances et seulement 15% en métropole. Le Reméra est le seul registre indépendant, les autres étant rattachés à des instances médicales nationales.

Deux pistes d’amélioration du recensement ont été évoquées

  • Ouvrir un recensement national, c’est-à-dire suivre chaque grossesse selon des critères scientifiques pré-établis. Ce genre de suivi est onéreux mais est le seul permettant la détection fiable de clusters sur l’ensemble du territoire et notamment dans le cadre de l’utilisation locale de produits potentiellement tératogènes ;
  • Améliorer la qualité des données, notamment en standardisant l’action des registres sur les territoires concernés et au niveau européen. Il faut savoir qu’en termes de statistiques, un échantillon représentatif suffit souvent à établir des conclusions.

La première piste a le défaut du coût de mise en place relevé par SPF dans son rapport (Lire le Rapport).

La seconde laisserait échapper des spécificités locales dans les zones non couvertes et donc des clusters ou agrégats spatio-temporels, comme c’est le cas et le ressenti de nombreux adhérents de l’association aujourd’hui. 


Quels sont les estimations faites à partir des registres français concernant les réductions de membres?

Chaque année en France, environ 345 enfants naissent avec une réduction de membres (1 cas/ 2350 naissances vivantes soit 4.3/10.000).

Les réductions de membres sont de 3 types :

  • Transversales (50%)  (fig a): absence complète à partir d’un certain niveau d’un membre
  • Longitudinales (fig b): absence d’un os de la jambe par exemple, le reste du membre étant intact
  • Intercalaires (fig c): absence d’un segment intermédiaire d’un membre

Ces chiffres sont extrapolés sur base de la collecte des données des 6 registres régionaux suivants : Antilles, Auvergne, Bretagne, Paris, Réunion et Rhône-Alpes (Remera)

http://invs.santepubliquefrance.fr/fr/Dossiers-thematiques/Maladies-chroniques-et-traumatismes/Malformations-congenitales-et-anomalies-chromosomiques/Donnees/Donnees-des-registres/Anomalies-des-membres


Pourquoi la Recherche est-elle si peu développée ?

Ce qu’il est important de préciser, c’est que seules des études scientifiques, s’appuyant sur des questionnaires validés scientifiquement par des acteurs compétents, peuvent mener à des résultats concrets. Il est dès lors fréquent de constater que pour des phénomènes rares, les moyens humains et financiers ne peuvent être déployés faute de priorité ou de rentabilité. 

Souvent, la recherche dans ce domaine est une recherche de vérification d’hypothèse : on émet un doute et les données médicales et de terrain permettent de confirmer ou d’infirmer ce doute. Dans le cas de l’affaire des bébés sans bras, SPF signalait d’ailleurs que, n’ayant pas d’hypothèses, il était inutile de chercher. Le problème est que l’on ne peut pas avoir de données parfaitement exhaustives, il faut donc se concentrer sur des critères spécifiques. On choisit donc des critères dont on juge qu’ils peuvent être liés à différentes maladies/malformations. On peut ainsi passer à côté d’associations insoupçonnées. La chance que l’on a aujourd’hui c’est que nous disposons de nombreuses données qu’il est possible de recouper (qualité de l’air, météo, qualité de l’eau, épandage…). L’inconvénient est que lorsqu’on ne sait pas ce que l’on cherche, il est difficile de trouver dans ces nombreuses données.

Par ailleurs, la recherche sur des évènements rares est par définition difficile à mener. Il est fort probable que l’explication à une malformation rare comme les ATMS soit le fruit de plusieurs facteurs comme par exemple une interaction entre un agent tératogène et un terrain génétique sensible. Il est aussi possible qu’il y ait un effet cocktail c’est à dire l’apparition d’un effet tératogène par combinaison de plusieurs substances, qui isolément sont inoffensives. De plus, les données à disposition sont incomplètes et partielles. Cependant, la communication entre les familles est primordiale : c’est par elles qu’est apparu le cluster de Guidel et plus en amont ce sont des familles qui ont lutté depuis longtemps contre la Dépakine.


Qu’est ce qu’un cluster ? Pourquoi la polémique autour de ce terme ?

La notion de cluster est bien définie : c’est l’apparition, dans un temps restreint et dans un espace restreint d‘un nombre de cas significativement élevé d’une maladie ou d’une malformation. C’est la notion même d’agrégat spatio-temporel pour une maladie ou malformation (ATMS en l’occurrence) dont on ne connaît pas la cause qui suscite la réflexion et la recherche d’un facteur causal environnemental. Le coup de malchance, le fruit du hasard n’est alors qu’infiniment probable.  

Seuls les registres peuvent repérer efficacement les clusters, car ils sont les seuls à posséder des données géographiques et individuelles fiables et exhaustives. A l’aide de logiciels, il y aura confirmation statistique ou non. 

La base de données médicale PMSI ne contient que des données par département ou établissement et n’est donc pas suffisante pour détecter des clusters isolés, d’autant plus que ces données sont souvent très incomplètes et peu fiables. Les clusters de Guidel et de Loire atlantique ont été officiellement reconnus, mais pas celui de l’Ain. Au delà des problèmes politiques, le débat est avant tout scientifique. Le Reméra signale un grand nombre de cas sur 4 ans, dans un rayon de 17 kilomètres. Santé Publique France signalera alors un nombre de cas élevés, en ajoutant d’ailleurs 11 à la liste, mais sur une période plus longue et une surface plus grande (tout le département de l’Ain), ce qui va faussement diluer le nombre de cas et de diminuer la proportion. Le débat a lieu autour de la pertinence scientifique de chacune des méthodes. Depuis la remise en question du cluster de l’Ain par SPF, il a été montré que les cas ajoutés par l’organisation n’avaient en fait rien en commun avec les cas inclus dans le cluster. Il semblerait qu’il était important de faire une annonce rapide. Dans quel but ? La question reste sans réponse aujourd’hui.

Reportage France 3


Pourquoi cette affaire est-elle utile et importante ?

En tant qu’association représentant les familles, l’ASSEDEA  a été sollicitée de nombreuses fois et a régulièrement rappelé qu’elle représentait les familles atteintes par TOUTES les agénésies. Il est vrai que l’affaire ne concerne que des agénésies transverses des membres supérieurs et que les média se sont focalisés là-dessus. Cela est normal : les clusters déclarés et repérés concernent ce type d’agénésie. Le fait de se focaliser sur ces cas et ces zones géographiques n’implique pas un déni d’existence des autres types d’agénésie dans d’autres région. Le but de l’alerte qui a été lancée est de mettre le doigt sur un dysfonctionnement de notre Etat dans le domaine du recensement des malformations, de toutes les malformations. Mettre en évidence ces clusters, c’est faire comprendre au grand public que de tels clusters existent et ne sont peut-être pas isolés. L’espoir que doivent avoir les familles autour de ces révélations, c’est de voir naître en France une vraie politique de recensement et d’étude des malformations congénitales. Comme dit précédemment, deux axes sont possibles : améliorer la couverture et/ou améliorer la qualité des données. 

Dans les deux cas, l’étude a posteriori sera de toutes façons difficile : plus le temps passe, plus il est compliqué de retrouver les conditions environnementales d’une époque donnée.

L’affaire a mené à la création de deux comités, dont le but est de faire des propositions d’action scientifique dans le cadre de la surveillance des malformations. Les décisions qui découleront de la concertation de ces comités autour des clusters d’agénésie des membres supérieurs devrait profiter à la recherche et au recensement des malformations en général. Une des missions du comité d’orientation et de suivi, où l’Assédea est représentée sera également de proposer des pistes d’amélioration de l’accompagnement des familles et des enfants. 


Quels sont les rôles joués par l’Assédea dans cette affaire? 

L’Assedea, via ses fichiers de membres, pourrait étudier géographiquement la répartition de ses adhérents, comme le fait E-Nable (https://e-nable.fr/lassociation-e-nable/carte/). Mais les données qu’elle possède sont en partie médicales donc sensibles et leur utilisation est délicate dans le cadre du respect de la vie privée et du respect du récent règlement général européen de la protection des données. De plus, l’ASSEDEA ne compte actuellement pas suffisamment de membres : les membres actifs (enregistrés et ayant payé leur cotisation) sont moins de 200 ce qui ne fournit à l’ASSEDEA ni suffisamment de données sur la répartition des cas, ni suffisamment de moyens pour pouvoir supporter financièrement la Recherche par exemple..

Un travail de réflexion avait malgré tout été élaboré autour de ce recensement interne, avec l’aide du Remera, mais il a été interrompu depuis la demande de l’enquête nationale par le ministère. Il semble plus pertinent pour l’association de s’associer à ce processus en participant au comité d’orientation et de suivi de l’enquête et de se concentrer sur sa mission première de soutien et d’accueil des familles


L’Assédea s’est régulièrement exprimée devant les médias depuis le mois d’octobre 2018 autour des questions suscitées par cette affaire pour souligner ses missions premières d’accompagnement des familles et l’importance de considérer tout type d’agénésie de membres. L’association a également soutenu des échanges avec Santé Publique France concernant la déclaration des cas par les adhérents. 

L’Assédea est représentée au comité d’orientation et de suivi de l’enquête et a également créé un groupe de travail permettant d’améliorer la communication autour de cette thématique. 

L’Assédea soutient l’amélioration du système de surveillance par la création d’un registre national des malformations. 


 Où en est l’enquête?

Les premiers résultats qui étaient attendus pour la fin juin, sont rendus publics ce 12 juillet 2019.

Les voici en résumé :

  • Le CES est composé d’une vingtaine d’experts multidisciplinaires et a travaillé en toute indépendance. Il y a eu 3 réunions (28/3, 10/5 et 17/6) et 11 auditions (scientifiques, membres du comité d’orientation et de suivi, remontées citoyennes) ;
  • Le cluster de Guidel est retenu, le cluster de l’Ain est invalidé et celui de Loire Atlantique est toujours à l’étude ;
  • Des études complémentaires vont être faites à Guidel (produits phytopharmaceutiques, qualité de l’air et de l’eau) ;
  • Le comité ne recommande pas d’études épidémiologiques ;
  • Un 7eme registre et un Comité scientifique national des malformations congénitales devraient voir le jour.

Compte rendu détaillé du COS du 11/07/2019

Le ces est composé d’une vingtaine d’experts multidisciplinaires et a travaillé en toute indépendance. Il y a eu 3 réunions (28/3, 10/5 et 17/6) et 11 auditions (scientifiques, membres du comité d’orientation et de suivi, remontées citoyennes). 

Le travail a consisté tout d’abord en la vérification des cas pour ne conserver que les cas d’agénésies transverses isolées de membre supérieur. Ensuite écarter les cas pour lesquels il y aurait une cause connue (brides amniotiques, génétique, médicamenteuse). Ensuite ils ont procédé à une vérification statistique pour confirmer ou infirmer les 3 clusters. Pour le cluster de Guidel, sur 4 cas, 3 sont des ATMS mais le cluster reste validé. Pour la Loire Atlantique, vu l’absence de registre sur la région, l’étude de la prévalence est toujours en cours et la notion de cluster est donc toujours en suspens. Pour l’Ain, certains cas ont été écartés et le cluster est invalidé. 

L’explication donnée pour l’Ain est la suivante : certains cas ne sont pas des ATMS et la période d’étude a été réduite puisque le Remera ne surveillait pas le département au moment de l’alerte ce qui supprime des cas réels d’ATMS (notamment les cas qui ont permi de donner l’alerte). Il est étonnant qu’on puisse rétrospectivement revenir sur les cas de Loire Atlantique non couverte par un registre pour statuer sur l’existence ou non d’un cluster et refuser de faire de même pour l’Ain! 

Suite à ces premières révélations, le CES s’est donc positionné en faveur d’investigations complémentaires uniquement pour la ville de Guidel. Les investigations qui seront poursuites seront diligentées par l’anses pour les produits phytopharmaceutiques et par prise de contact avec la direction générale de l’alimentation ainsi qu’avec la direction régionale de l’agriculture. SpF étudiera l’environnement à partir de bases de données existantes concernant la qualité de l’air et de l’eau. A ce stade il n’y aura pas de prélèvement environnemental ou biologique. 

En parallèle de ce travail, le CES a émis des recommandations en ce qui concerne des études épidémiologiques. Étant donné l’absence d’hypothèse prédominante et l’incidence très faible des ATMS, il ne recommande pas de telles études : « L’imputabilité va être impossible à trouver » selon la présidente du CES. 

Une autre réflexion concernant la surveillance au sens large des malformations congénitales a été discutée. A ce stade la question de la mise en place d’un registre national n’est malheureusement pas retenue. Pourquoi? Cette question reste sans réponse satisfaisante. Il a malgré tout été mentionné la volonté d’améliorer la qualité de la surveillance et de la possibilité d’une alerte plus rapide mais avec des moyens actuellement insuffisants. Un septième registre devrait également voir le jour. 

En conclusion, même s’il on peut reconnaître et accepter la plus grande rigueur scientifique des membres du CES pour travailler sur cette affaire, il reste des zones d’ombres incompréhensibles notamment dans la définition même d’un cluster et dans la reconnaissance des limites de la médecine en matière de recherche pour des anomalies rares qui soulèvent de nouvelles questions de santé environnement.